Le Sahel n’a pas seulement perdu la stabilité et la paix dont il fut naguère un vrai havre. Il a aussi perdu la possibilité que l’on puisse débattre en toute sérénité et avec nuance des configurations géopolitiques et géostratégiques qui s’y déploient. N’ont désormais pignon sur rue que ceux qui défendent l’Alliance des États du Sahel (AES) et sont contre la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), ou ceux qui soutiennent cette dernière et sont contre la première.
La posture manichéenne ainsi déclinée ne correspond ni à la réalité du terrain ni au pragmatisme indispensable dans la conduite des affaires publiques. Pris isolément, chacun des trois pays de l’AES a immanquablement besoin de ses partenaires restés dans la Cedeao. Outre les enchevêtrements familiaux, le Niger partage près de 1 500 km de frontière avec le Nigeria ; cinq régions administratives sur les huit que compte le pays sont limitrophes du Nigeria (exception faite d’Agadez, Niamey et Tillabéry). Le Nigeria reste le premier partenaire économique du Niger. On pourrait dresser le même tableau pour les relations étroites entre le Mali et ses voisins ivoirien et sénégalais.
Environ 90 % des importations/exportations du Mali passent par les ports d’Abidjan et de Dakar. La Côte d’Ivoire accueille la plus grande diaspora malienne dans le monde (environ 4 millions de personnes). Enfin, les relations du Burkina Faso sont, elles aussi, plus fortes avec ses voisins restés dans la Cedeao qu’avec ses deux partenaires de l’AES. Pays de l’hinterland, le Burkina Faso doit importer ou exporter via la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Ghana ou le Togo. Entre cinq et six millions de Burkinabè vivent sur le sol ivoirien. Derrière les grands discours de rupture se cachent ainsi des réalités plus fortes que des postures et des liens devenus irréversibles.
Et pourtant, c’est surtout face au défi sécuritaire que les 12 États restés dans la Cedeao et les trois partis pour créer, en septembre 2023, l’AES – devenue, en juillet 2024 à Niamey, Confédération de l’AES – ont un destin inséparable. Même en faisant crédit au nouvel engagement de la Cedeao d’assumer désormais le leadership de la lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest, on ne voit pas comment elle pourrait y parvenir sans les États de l’AES, épicentre de la menace dans la sous-région. Nul besoin d’être expert pour être sûr qu’il sera impossible de lutter contre les groupes jihadistes au Bénin, en Côte d’Ivoire et au Togo (États du golfe de Guinée) sans associer le Burkina Faso, le Mali et le Niger.
Source: jeuneafrique