Khartoum tremble mardi sous les raids aériens et les rafales de tirs des paramilitaires au quatrième jour d’une lutte entre généraux au pouvoir qui ignorent les appels internationaux de plus en plus nombreux à cesser les hostilités après près de 200 morts.
Au pied des immeubles habités, des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo, dit « Hemedti », perchés sur des pick-ups déchargent leurs mitrailleuses lourdes vers le ciel, face aux avions de l’armée qui tentent de viser leurs QG disséminés dans tous les quartiers.
Ces raids aériens ont déjà frappé quatre hôpitaux à Khartoum, s’alarment des médecins. Dans tout le pays, l’un des plus pauvres au monde où la santé est à genoux depuis des décennies, « 16 hôpitaux sont désormais hors service ».
Mais les appels des ministres des Affaires étrangères du G7, de l’ONU et des Etats-Unis « à mettre immédiatement fin à la violence » n’y font rien: des hommes en treillis, parfois enturbannés comme les nomades du Darfour, continuent de faire régner la terreur à Khartoum, tandis que les raids aériens de l’armée touchent des zones densément peuplées.
Mardi, le général Daglo a annoncé avoir approuvé « un cessez-le-feu de 24 heures », « une déclaration de la rébellion visant à dissimuler sa défaite imminente », a aussitôt dénoncé l’armée, sous le commandement du général Abdel Fattah al-Burhane qui dirige le pays depuis le putsch de 2021.
Les habitants, eux, sont en majorité cloîtrés chez eux sans électricité ni eau courante et voient leur stocks de nourriture fondre.
Alors que les rares épiceries ouvertes préviennent qu’elles ne tiendront plus longtemps sans réapprovisionnement, des grappes de femmes et d’hommes – énormes sacs d’affaires en main – commencent à prendre le chemin du sud. Là, dans la province qui borde la capitale, il n’y a pas de combat.
Sous un ciel barré de colonnes d’épaisse fumée noire au-dessus des QG de l’armée et des paramilitaires, quelques rares autres s’aventurent dehors à la recherche de nourriture ou d’un générateur encore alimenté en fuel pour recharger un téléphone ou une batterie.
A Khartoum, « cela fait quatre jours que l’on ne dort pas », raconte à l’AFP Dallia Mohamed Abdelmoniem, 37 ans.
Et surtout, on reste « à l’intérieur » par peur des balles et des roquettes qui ont fait depuis samedi plus de 185 morts selon l’ONU et poussé plusieurs ONG et agences de l’ONU a suspendre toute aide.
Dans un pays où la faim touche plus d’un habitant sur trois, humanitaires et diplomates disent ne plus pouvoir travailler. Trois employés du Programme alimentaire mondial (PAM) ont été tués et des stocks d’aides pillés au Darfour (Ouest).
Lundi, un convoi diplomatique américain a essuyé des tirs et l’ambassadeur de l’Union européenne a été « agressé dans sa résidence » à Khartoum. La diplomatie soudanaise, loyale au général Burhane, a accusé les FSR.
– Hôpitaux en détresse –
L’ONU recense 1.800 blessés, et sûrement beaucoup plus tant les accès sont difficiles, pour les patients comme pour les médecins.
Au Darfour, bastion du général Daglo et de milliers de ses hommes qui y ont mené des atrocités durant la guerre lancée dans cette région en 2003, Médecins sans Frontières (MSF) annonce avoir accueilli en trois jours 183 blessés dans son dernier hôpital fonctionnel. « Une majorité de civils, dont beaucoup d’enfants », rapporte l’ONG. « 25 sont morts » faute de soins.
Impossible de savoir quelle force contrôle quoi. Les deux camps disent par communiqués interposés tenir l’aéroport, le palais présidentiel et le QG de l’état-major. Et, en ligne, la désinformation prospère: vidéos anciennes du général Burhane, pas apparu depuis quatre jours, présentées comme récentes, rumeurs d’assassinats ou fausse annonce de trêve alimentent la confusion.
– Guerre « existentielle » –
Les deux hommes semblent désormais ne plus vouloir reculer dans cette guerre devenue « existentielle » pour leurs camps, selon des experts.
L’armée n’en finit plus de dénoncer « un coup d’Etat » de « rebelles soutenus par l’étranger » quand Hemedti déclare lutter « pour la liberté, la justice et la démocratie ».
Ce slogan de la « révolution » de 2019 était jusqu’à récemment encore scandé dans la rue par les militants pro-démocratie voulant en finir avec le pouvoir militaire, quasiment une constante au Soudan depuis l’indépendance en 1956.
Le conflit entre Hemedti et le général Burhane, latent depuis des semaines, a explosé quand ils ont été forcés d’annoncer leur plan pour intégrer les FSR aux troupes régulières. Incapables de s’accorder sur un calendrier et les conditions de recrutement, ils ont fait parler les armes.
Pour le politologue Amr Chobaki, « la situation actuelle est le résultat des erreurs du régime Béchir et de la période de transition qui aurait dû, après la chute de Béchir (en 2019), discuter de l’unification des forces armées ».
« Les civils voulaient démanteler l’ancien régime mais ce qui a été démantelé ce sont les forces politiques et l’armée », explique-t-il à l’AFP.
Le grand voisin égyptien, lui, multiplie les initiatives pour « un retour à la table des négociations ». Il a appelé les deux généraux et lundi soir, le président Abdel Fattah al-Sissi a convoqué un Conseil de défense inhabituel.
AGP/18/04/023 TV5